<!–
@page { size: 21cm 29.7cm; margin: 2cm }
P.sdfootnote { margin-left: 0.5cm; text-indent: -0.5cm; margin-bottom: 0cm; font-size: 10pt }
P { margin-bottom: 0.21cm }
A.sdfootnoteanc { font-size: 57% }
–>
Europe : pour changer de cap
Une version courte de ce texte est parue dans Libération du 19 mai 2009
Nous sommes à ce jour trente six économistes à avoir signé un texte qui invite à sortir du « dirigisme libéral » en Europe et à soutenir la démarche unitaire du Front de gauche pour les élections européennes (cf. notre appel du 2 mai 20091). Nous prolongeons cette démarche, à bien des égards inédite, en soumettant au débat les propositions suivantes.
Le contrôle des banques et de la finance
La banque et la finance ont été longtemps réglementées et le monde s’en portait plutôt mieux. Le tsunami en cours appelle un encadrement strict. La prohibition des transactions avec les paradis fiscaux et des filiales « hors bilan » est indispensable pour en finir avec la finance parallèle qui nourrit spéculation et évasion fiscale. Il faut limiter radicalement les nouveaux produits financiers afin que les banques reviennent à leur métier (distribuer des crédits en en assumant les risques).
Les banques doivent être sous contrôle public. L’accès au crédit gagne certes à avoir une offre diversifiée avec une certaine concurrence. Mais un pôle de banques publiques articulé à des banques coopératives permettrait cela en protégeant la monnaie comme bien public. Les nationalisations en cours, menées trop timidement, en offrent l’opportunité.
La Banque centrale européenne doit compter le plein emploi et la stabilité financière parmi ses objectifs principaux et doit cesser d’échapper à tout contrôle politique, d’autant plus qu’elle s’est arrogée la conduite du taux de change, laissant l’euro s’apprécier au détriment des exportations.
Simultanément, il faut mettre un terme à la domination des seuls actionnaires sur les entreprises en donnant de nouveaux pouvoirs aux salariés.
Relance et planification écologique
Alors que les Etats-Unis et la Chine déploient des plans massifs de relance, l’Europe est à la traîne. Ses apports propres sont nuls, les 30 milliards affichés étant des dépenses prévues.
Le budget de l’Union représente 1 % du PIB européen, contre environ 20 % (avant même la crise) pour celui des Etats développés, y compris européens. Ce sont les Etats qui recapitalisent les banques et adoptent des plans de relance, et non l’Union. Or, les plans nationaux sont eux-mêmes indigents, en particulier en France.
Au fond, les pays européens s’accrochent à la désinflation compétitive lancée par la France et reprise par l’Allemagne : l’austérité salariale et budgétaire et la flexibilisation du contrat de travail sont sans cesse durcies, pour prendre des parts de marché aux « partenaires », y compris européens. Cette politique non coopérative est suicidaire a fortiori dans le contexte actuel. L’Europe a les moyens d’une autre ambition : une hausse coordonnée des bas et moyens salaires et des prestations chômage, en particulier, articulée à un plan de soutien, financé par un emprunt de l’Union équivalent à 2 % de son PIB, pour les transports publics et la rénovation écologique des bâtiments notamment.
Car la crise doit impérativement être l’occasion de changer de mode de développement. Il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais mieux. L’impératif écologique met en jeu le long terme. Elle mérite mieux que les marchés de droits à polluer et leurs produits dérivés : une véritable planification.
Réhabiliter les services publics et l’impôt
La puissance publique doit remettre en œuvre une politique active de soutien à l’industrie et à la recherche.
Déficits et dette ne sont pas des maux en soi : ils permettent de lancer des activités. Pendant des années, les citoyens ont entendu parler du « trou du public », jamais du « trou du privé » autrement plus important. Du point de vue libéral, seul le privé crée de la richesse ce qui légitime sa dette. Mais une infirmière ou un enseignant du public sont aussi créateurs de richesses. Quelles activités doivent relever du public, du privé ou bien de l’économie sociale ? C’est une question qui doit revenir au cœur du débat politique. Le public a des arguments pour lui, la faillite du système de santé américain en témoigne.
L’impôt doit être réhabilité. Il n’est pas un fardeau qui grève le privé afin de financer des activités supposées « improductives ». Les « prélèvements obligatoires » financent des prestations sociales – plus de 35 % du revenu des ménages en France –, ont un effet redistributif et soutiennent la consommation. Ils rémunèrent également le travail des fonctionnaires dont le produit est accessible gratuitement. Le gouvernement vient d’offrir 2,5 milliards d’euros de baisse de TVA pour la restauration (on peut faire la même critique au soutien à l’emploi d’une femme de ménage). L’inégalité (qui va au restaurant ?) rime avec gabegie : au mieux 40 000 emplois sont attendus, soit 62 500 euros par emploi. Près de 100 000 postes de fonctionnaires auraient pu être créés à la place. Les besoins ne manquent pas : hôpital, éducation, accueil de la petite enfance pour réduire les inégalités hommes / femmes, etc.
La crise exige de revenir sur la concurrence fiscale et sur la contre-révolution fiscale – dont le « bouclier » est le dernier avatar – qui mettent à mal la progressivité de l’impôt et creusent les déficits publics. Plus de deux siècles après la proclamation révolutionnaire de l’égalité, l’Europe ne grandirait-elle pas à être pionnière en retenant la règle d’un écart maximal admissible de revenu ?
Plein emploi et droits sociaux
La mondialisation libérale est une catastrophe pour l’environnement. Fermer des usines en Ecosse, proches du lieu de pêche, pour décortiquer des langoustines en Thaïlande, puis les réimporter : est-ce cela le rêve européen ? Favoriser la relocalisation des activités et celles qui polluent peu – comme la plupart des services publics – est une première façon de concilier plein emploi et écologie. Il en est une autre : la baisse du temps de travail. Son mouvement séculaire – et émancipateur – a été stoppé ces dernières années, ce qui, avec l’austérité salariale, a permis la hausse des profits non réinvestis, combustibles de la spéculation. L’assouplissement des heures supplémentaires qui joue contre les hausses de salaire est une calamité pour l’emploi. Le chômage qui s’accélère aujourd’hui appelle des plans de soutien ciblés sur certaines activités mais aussi une réduction massive et généralisée du temps de travail. Un emploi décent pour tous : ne serait-ce pas une meilleure façon de faire vivre le rêve européen ?
Compte tenu des inégalités de développement au sein de l’Union, il importe que le socle des droits sociaux soit défini au niveau national. S’il était européen, ce que le patronat préconise, cela se traduirait par une régression pour la plupart des travailleurs. Est-ce à dire que l’Europe ne peut rien ? Elle peut, au contraire, mais à la condition que les principes de « convergence par le haut » et de « non régression sociale » soient posés comme premiers, en lieu et place de la « concurrence non faussée » retenue par les traités et la Cour de justice européenne (cf. les arrêts Laval et Viking). L’Union pourrait en outre retenir la norme d’un salaire minimum égal au moins à 60 % du salaire moyen. En France, cela se traduirait par une hausse du Smic net de 180 euros par mois. La plupart des pays d’Europe de l’Est sont éloignés de cette norme (à 30% ou 40%). Une telle mesure permettrait de réduire la pression en faveur des délocalisations qu’ils exercent. Elle doit être articulée à un soutien à ces pays, qui, lâchés par l’Union, sont contraints d’accepter les plans d’ajustement du FMI (baisse des salaires et des dépenses publiques).
Quelles protections ?
Le marché peut faire bien des choses, mais ne peut pas tout. L’intervention publique est nécessaire. A quelle dose ? Le débat est ouvert et cela vaut pour tous les domaines, y compris les relations commerciales.
L’Europe doit cesser d’être le prétexte de tous les renoncements de la gauche. Les Etats nations ont des marges de manœuvre. Par sa puissance, l’Europe est néanmoins un cadre idéal pour une autre politique. Mais cela ne pourra se faire si continuent à prévaloir la libre circulation des capitaux et la possibilité pour les entreprises de localiser librement leur production dans des pays à bas coûts pour la réimporter ensuite. Quelles formes précises doivent prendre ces protections ? Le débat mérite d’être ouvert en partenariat avec les pays du Sud, vis-à-vis desquels une nouvelle ère en matière de politique de développement doit enfin s’ouvrir.
Le dirigisme libéral de l’Europe remonte loin. Le Traité de Rome, qui a d’emblée porté la concurrence au firmament, a été conçu par des économistes néolibéraux dotés d’un projet cohérent : la souveraineté populaire à l’œuvre au niveau national ne permettant pas de démanteler l’intervention publique, il convenait de la contourner en imposant de l’extérieur les « bonnes règles ». Cinquante ans ont passé : nous pensons qu’il est temps de concevoir autrement l’Europe.
Bruno Amable (Paris I), Angel Asensio (Paris XIII) Michaël Assous (Paris I), Philippe Batifoulier (Paris X), Laure Bazzoli (Lyon II), Rachid Belkacem (Nancy II), Mathieu Béraud (Nancy II), Eric Berr (Bordeaux IV), Laurent Cordonnier (Lille I), Elisabeth Cudeville (Paris I), Jean-Paul Domin (Reims), Anne Eydoux (Rennes II), David Flacher (Paris XIII), Maryse Gadreau (Dijon), Ariane Ghirardello (Paris XIII), Anne Isla (Toulouse II), Florence Jany-Catrice (Lille I), Hugues Jennequin (Rouen), Thierry Kirat (CNRS), Dany Lang (Paris XIII), Florence Lefresne, Michel Maric (Reims), Jérôme Maucourant (Saint-Etienne), Jacques Mazier (Paris XIII), Matthieu Montalban (Bordeaux IV), Stefano Palombarini (Paris VIII), Dominique Plihon (Paris XIII), Muriel Pucci (Paris I), Christophe Ramaux (Paris I), Gilles Raveaud (Paris VIII), Jacques Sapir (EHESS), Richard Sobel (Lille I), Nadine Thèvenot (Paris I), Damien Talbot (Bordeaux IV), Bruno Tinel (Paris I), Franck Van de Velde (Lille I).