Analyser avec objectivité et pertinence les résultats d’une élection est une tâche ardue qui bien évidemment nécessite d’être une œuvre collective.
Ce qui me paraît essentiel, c’est d’abord d’éviter toute analyse à chaud forcément empreinte de subjectivité, d’autant plus que pendant la campagne la passion a été un des carburants de notre engagement pour faire connaître et défendre nos convictions. Et puis surtout, une analyse solide doit intégrer les analyses des autres forces politiques, ainsi que celles des médias qui s’empressent de donner immédiatement le ton du prêt à penser, puis de fournir le sondage qui ne mesure que l’effet produit par le matraquage, mais qui a pour objectif de l’imposer avec force: par exemple « Sarkozy est le grand vainqueur des élections » (l’UMP obtient 28% des voix), suivi d’un sondage « la cote de Nicolas Sarkozy : +8% » ! Et malgré notre habitude de résistance aux médias il est particulièrement difficile d’effectuer une analyse à chaud en dehors du cadre que l’on veut nous imposer.
Alors prenons le temps nécessaire.
Je souhaite vous livrer quelques éléments d’analyse, hors des sentiers battus par les médias mais aussi par notre propre famille politique, car il m’est impossible de faire fi de mon expérience politique. Débusquer entre autres le caractère obsolète et dangereux des idées présentées comme neuves me semble fondamental, et inversement il est nécessaire de montrer que certaines idées présentées comme obsolètes sont particulièrement novatrices. Par exemple, lorsque Delphine Batho groupie de Ségolène Royal fait passer aujourd’hui sur France Inter le concept des Etats-Unis d’Europe pour une idée neuve, elle ne sait pas ou fait semblant de ne pas savoir que c’est Karl Kautsky, social-démocrate allemand, qui est le promoteur de cette idée, lui qui par ailleurs vote les crédits permettant à son pays de s’engager dans la première guerre mondiale en autorisant ainsi une des plus grandes boucheries de l’histoire, tout en trahissant les engagements de la IIème Internationale. Si Delphine Batho l’ignore, Ségolène Royal et Bernard Guetta favorables aux Etats-Unis d’Europe, eux, ne l’ignorent pas. Je partage totalement l’idée avancée par Jacques Sapir : l’Europe fédérale est morte, ce n’était qu’un rêve et c’est pourquoi je ne peux que me désoler du résultat des Verts dont l’engagement fédéraliste est rendu obsolète par la résistance des peuples à cette idée.
Il est donc vital que la pensée politique s’appuie sur la théorisation de l’expérience passée, les conseillers de Sarkozy en sont bien eux convaincus. L’éducation populaire passe par ce travail.
A propos de l’abstention du 7 juin 2009
L’abstention est massive, c’est un fait que personnellement je ne saurais qualifier de criminel ! Elle est d’autant plus massive que vient s’ajouter le pourcentage des votes blancs et nuls qui atteint dans de nombreuses régions 5% des votants : 5% pour les régions Nord-ouest et Sud-ouest, mais aussi dans la région Est baptisé souvent région europhile, et même 5,6% dans la région Centre. Les régions Nord-ouest et Est dépassent donc les 62% d’abstention et de votes blancs et nuls. A titre de comparaison citons le premier tour des élections présidentielles de 2007 avec une abstention d’environ 16% et 1,44% de votes blancs et nuls !
Autre fait essentiel, 70 à 80% des classes populaires ne sont pas allées voter et cette abstention touche également très largement les jeunes.
Alors, oui, l’ampleur de l’abstention et des votes blancs et nuls de ce scrutin signifie, et il nous appartient, par notre analyse, de donner un sens, c’est-à-dire une cohérence politique, à ce fait qui ne relève pas d’un simple goût immodéré de plus de la moitié des électeurs pour la pêche.
Si nous condamnons cette attitude massive des couches populaires, il ne nous reste plus qu’à changer de peuple ! La crise politique est majeure. A nous de la comprendre, d’expliquer, de nous organiser et d’organiser pour la dépasser en proposant d’abord un projet de société.
Ce qui est en cause, c’est bien la notion de citoyenneté européenne.
Un citoyen est un sujet de droit qui doit être détenteur d’une part de souveraineté populaire qui elle-même doit s’exercer dans le cadre d’une constitution. Or l’Europe n’a pas de constitution. Par ailleurs, depuis la Révolution française, l’exercice de la citoyenneté est indissociable de la nation. Alors comment articuler Europe et nation, voici un débat qui n’est pas tranché et qui n’a été qu’effleuré lors de la campagne référendaire. C’est la question posée par Jacques Sapir. Et quid de l’internationalisme dans tout cela?
Le traité établissant une Constitution pour l’Europe a été rejeté en pleine connaissance de cause par plus de 54% des français lors du référendum de 2005 après un débat passionnant, approfondi et argumenté. Ce sont les orientations dites « libérales » de cette constitution qui ont été rejetées et en particulier l’imposition d’un modèle économique qui, les débats l’avaient largement établis, n’a pas à faire partie des articles d’une constitution.
Le traité de Lisbonne a été préparé au second semestre 2007 par une conférence intergouvernementale constituée pour surmonter la crise consécutive à la non-ratification du traité établissant cette constitution pour l’Europe. Ce traité conserve les traités existants en les modifiant en profondeur :
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le traité instituant la Communauté européenne de 1957, qui est renommé en « traité sur le fonctionnement de l’Union » ;
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le traité sur l’Union européenne (traité de Maastricht) de 1992.
Le traité de Maastricht lui-même n’avait été adopté que par 51% des voix et par moins de 50% des votants compte tenu des votes blancs et nuls et le traité de Lisbonne a été rédigé pour éviter les référendums souhaités par 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des Italiens, 65 % des Espagnols et 71 % des Français.
C’est pourquoi le terme de constitution n’a pas été retenu par la conférence intergouvernementale.
La seule constitution qui régit notre citoyenneté est la Constitution de la Vème République, qui elle-même n’a cessé d’être retoqué sans le moindre référendum. Je suis convaincu que la construction de l’unité populaire à laquelle nous aspirons ne pourra être effective et efficace qu’à travers le refus de toute nouvelle aggravation du fonctionnement de nos propres institutions et l’exigence d’une nouvelle constitution, seule à même d’ailleurs d’envisager sur d’autres bases la relation entre Europe et Nation.
L’abstention massive est donc bien la traduction du refus du traité constitutionnel en 2005 et du traité de Lisbonne par une large partie des couches populaires, des classes moyennes et de la jeunesse, une condamnation de sa ratification par le Congrès réuni à Versailles pour contourner l’avis populaire avec la caution de la grande majorité des élus du Parti socialiste, mais aussi une résistance face aux oligarchies financières qui prétendent imposer leur ordre politique.
Alors, pouvions-nous vraiment prétendre rassembler largement autour du mot d’ordre « changeons d’Europe » et autour de propositions dont nous savions qu’elles n’avaient guère de chance d’être retenues dans les cinq années à venir? Le résultat était prévisible: la gauche appelée radicale (sic !) par les analystes sera finalement composée de 31sièges sur 736.
Bien sûr nous aurions souhaité que davantage d’électeurs comprennent qu’avoir des députés radicalement opposés au Traité de Lisbonne constituerait l’opportunité de se servir du Parlement européen comme tribune, mais aussi comme poste d’observation et de renseignement pour mener une résistance plus efficace ; la campagne éclair décidé par le pouvoir en place et de nombreux partis ne nous a pas permis de faire ce travail.
Je suis convaincu que l’Europe politique est actuellement :
– soit impossible du fait du développement inégal du capitalisme (la concurrence exacerbée par la concentration des capitaux interdit l’harmonisation sociale, économique et environnementale)
– ou bien ne pourrait se constituer, dans un futur plus ou moins proche, que sur des fondements ultra réactionnaires, notamment dans le cadre d’une extension des guerres impérialistes pour le partage du monde. La constitution de blocs concurrents opposant des groupes de nations composés de plus d’un milliard d’hommes chacun n’est pas impossible si nous n’y prenons pas garde.
Je pense qu’il convient d’être plus internationaliste qu’européen. La solidarité, la fraternité ne peuvent se développer que sur une base de classe. Comment croire en une Europe sociale dans un avenir immédiat alors que nous ignorons l’existence et l’état de la plupart des luttes sociales et politiques dans les pays d’Europe même les plus proches ?
Et est-il possible d’ignorer et de ne pas prendre en compte les luttes sociales et politiques des autres peuples du monde, du peuple chinois en particulier?
A l’inverse, déserter les cadres institutionnels existants fussent-ils réactionnaires serait suicidaire et les députés européens du Front de Gauche doivent avoir pour mission de favoriser l’établissement de relations de plus en plus étroites entre les mouvements progressistes des différentes nations qui ont les mêmes objectifs que les nôtres.
Il appartient donc au Parti de Gauche (et bien sûr au Front de Gauche) d’éclaircir son orientation politique concernant l’articulation entre les luttes politiques nationales, européennes et internationales.
A suivre, plus tard, quelques éléments d’analyse du scrutin et quelques réflexions sur les combats à venir…
Alain Descaves.