Cette soif programmatique est rassurante. Le contexte de personnalisation dépolitisante qui domine les élections présidentielles sous la Cinquième République n’a pas emporté tous les esprits. Pendant que les gros médias achètent des sondages bidonnés, des milliers de nos concitoyens se confrontent à une littérature plus exigeante. Cela prouve qu’un programme n’est pas un outil politique dépassé. N’est-ce pas, Michel Rocard ! Dans les années 90, quand ce dernier était premier ministre, il avait, dans un discours mémorable prononcé à Joué-les-Tours devant le Bureau exécutif du PS, décrété la mort des programmes. Dogmatiques, systématiques, idéologiques, rigides et contraignants… les programmes devaient être mis à la poubelle. Bien au fond s’il vous plaît, afin que le spectre du programme commun et ses nationalisations abhorrées ne ressurgisse jamais. Rocard avait même expliqué que les partis n’ont pas de légitimité à vouloir autre chose que ce que veut le peuple, et qu’il fallait donc gouverner en fonction des sondages promus instruments d’expression de la volonté populaire. Dans cette époque de néolibéralisme triomphant, ces propos avaient été salués comme un summum de modernité. Personne ne dirait plus cela aujourd’hui et c’est tant mieux. Car cette pensée a longtemps continué d’irradier le PS. Lors de la présidentielle de 2007, le slogan « mon projet c’est le vôtre » de Ségolène Royal était un écho de ce manifeste rocardien. A l’inverse je me réjouis de la voir avancer désormais avec son petit livre programme en bandoulière et de la voir décliner sur les plateaux ses engagements soigneusement numérotés.
Mais si aujourd’hui plus personne n’envisage d’aller aux élections sans programme, il s’agit plus d’un point de passage obligé pour maintenir la fiction démocratique sur laquelle repose nos sociétés que d’un engagement sur lequel les électeurs peuvent compter. Car les gagnants des élections n’appliquent pas leurs programmes électoraux ! En Grèce, en Espagne, au Portugal, les dirigeants mènent des politiques en tout point contraires aux programmes sur lesquels ils ont été élus. Fait nouveau, ils ne s’en cachent même pas. Nous n’avons pas d’autre choix que le parjure se lamentent-ils ! C’est ainsi que les Espagnols virent leur premier ministre Zapatero aller à la télévision déclarer qu’il allait une fois de plus annoncer des mesures injustes frappant avant tout les plus pauvres et qu’il était d’ailleurs le premier à les condamner ! Alors pourquoi faire des programmes si c’est pour pleurer à chaudes larmes d’être obligé de les violer ? Quel sens y aurait-il à y consacrer du soin, du sérieux, du temps ? N’est-il pas plus simple de déclarer comme Raffarin que la campagne électorale doit satisfaire à la fois les électeurs et les agences de notation, pour constater, une fois les électeurs rentrés chez eux, que seul subsiste jusqu’à la prochaine élections le verdict quotidien de Moody’s, Fitch ou Standard & Poor’s.
Le défi du Front de Gauche dans ce contexte est donc de convaincre que son programme sera appliqué s’il est élu. Nous ne répondrons pas au doute de nos concitoyens par des arguments de personne ou en protestant de notre sincérité. Zapatero était peut-être sincère, qui sait ? Mais qu’il soit un menteur cynique ou un naïf pitoyable ne change rien pour ceux qui subissent sa politique. Notre programme est donc aussi un outil pour combattre la résignation en montrant que l’on peut de manière concrète et réaliste faire d’autres choix que ceux qui ont dominé ces dernières décennies. L’humain d’abord répond pour cela aux quelques questions essentielles qui sont les conditions de la révolution citoyenne, sans lesquelles ni la planification écologique, ni le partage des richesses ne pourraient voir le jour. Bref il comprend les engagements précis qui font qu’il n’est pas une collection de vœux pieux et un recueil de paroles verbales.
Ainsi armé, notre gouvernement pourra briser le « mur de l’argent » qui se mettrait sinon en travers de notre politique dès le lendemain de l’élection. Il aurait les moyens d’échapper au chantage à la dette et au pilonnage des agences de notation. En mettant sous contrôle social les banques, nous les obligerons en effet à détenir dans leur bilan des titres de notre dette publique, pour un taux d’intérêt raisonnable. Les attaques spéculatives contre nos bons du trésor pourront être stoppées. Les banques ne pourront résister car elles savent d’avance qu’elles seraient les perdantes d’un bras de fer avec un gouvernement déterminé. Rappelons que sans garantie publique, les banques ne valent pas plus que le papier sur lequel leurs actions sont imprimées. Aucune activité bancaire ne peut se passer du soutien de la Banque Centrale et de l’accord des autorités de régulation dont nous aurons repris le contrôle. Ceci sans même recourir à la menace ultime : ne pas payer la dette, vision d’apocalypse pour tout banquier qui préfère négocier quelque chose que de se retrouver avec rien du tout…
Le contrôle des mouvements de capitaux est également une arme anti-délocalisations. En taxant les investissements directs à l’étranger, dès lors qu’ils visent à exploiter des différences dans les normes sociales ou environnementales, nous pouvons enlever à la délocalisation son intérêt économique.
Dès lors il faut que les droits des travailleurs dans l’entreprise ne soient plus seulement consultatifs. Dit autrement, qu’il soit mis des limites aux droits conférés aux propriétaires privés des entreprises, dont le point de vue ne doit plus prévaloir systématiquement sur celui des salariés. Autre instrument avancé par le programme l’Humain d’abord, le soutien à la reprise des entreprises par leurs salariés sous forme de coopératives ouvrières de production (Scop). Nous ne prétendons pas que la coopérative doive devenir la modalité unique de l’activité économique. Mais elle constitue un mode de gestion pertinent dans de nombreux cas, pour réduire les inégalités salariales, relocaliser l’économie, satisfaire des besoins sociaux insuffisamment rentables aux yeux des actionnaires. Et elle est aussi un instrument au service du rapport de forces que nous voulons bouleverser en faveur des salariés. En leur permettant la reprise de leur entreprise sous forme de Scop, nous donnerons en quelque sorte aux salariés le droit de licenciement pour faute grave qui est aujourd’hui l’apanage des patrons.
Cette désobéissance européenne est la seule manière de réconcilier la construction européenne avec la souveraineté populaire et le progrès social. Si le traité de Lisbonne s’imposait à la volonté populaire, c’est l’idée européenne elle-même qui sombrera lorsqu’inéluctablement les peuples enverront balader cette Union européenne autoritaire et ultralibérale. Notre thèse n’est donc pas celle du repli national, à l’inverse des libéraux qui organisent la guerre économique des systèmes sociaux et fiscaux les uns contre les autres. De plus la désobéissance française aurait un effet d’entraînement dans toute l’Union, exactement comme dans les pays arabes la courageuse révolution du peuple égyptien a donné aux Tunisiens et à tant d’autres dans les pays arabes la force de relever la tête. Notre désobéissance européenne est donc fondée sur des motifs universels, le respect de la souveraineté du peuple, et s’inscrit dans une stratégie internationaliste concrète pour changer d’Europe. Ce n’est pas la bonne manière de changer l’Europe ? Alors qu’on nous en propose une autre ! Et pas celle de la social-démocratie européenne s’il vous plaît, car nous n’avons pas l’intention de réciter pendant des années « et maintenant l’Europe sociale »…
Nous voulons la Sixième République pour établir la souveraineté effective du peuple. Celle-ci n’existe pas quand, comme sous la Cinquième, l’élection qui domine la vie politique se réduit à un choc de personnalités, évacuant les grands choix politiques qui sont ainsi soustraits à la décision des citoyens. Celle-ci n’existe pas quand l’intérêt général cède le pas aux intérêts privés qui colonisent sous nos yeux l’Etat et font leur nid dans les services publics. Celle-ci n’existe pas quand la souveraineté populaire s’exerce par éclipses, tous les cinq ans, laissant tout le reste du temps la possibilité au président et à la majorité parlementaire élue dans son sillage de gouverner contre l’avis du peuple.
Avec la Constituante, le programme L’humain d’abord affronte l’une des causes de l’échec de la gauche après 1981. Celle-ci a cru à tort que l’on pouvait changer profondément la société sans toucher aux institutions inventées il y a plus de 60 ans par le général de Gaulle pour un projet politique autoritaire. Au final, non seulement la Cinquième république n’a pas été transformée, mais c’est elle qui a transformé le PS comme on le voit avec l’instauration des primaires.
Le Front de Gauche défend donc le SMIC à 1700 euros nets dans le cadre de la législature. Le niveau actuel du SMIC le place en effet 100 petits euros au-dessus du seuil de pauvreté. Il suffit d’une panne de voiture coûteuse ou d’une vitre cassée pour qu’un smicard bascule sous ce seuil. Même chose pour un retraité pauvre (c’est pourquoi nous alignerons toutes les retraites sur le SMIC). Nous voulons ainsi faire reculer cette forme particulièrement répandue de précarité, celle de ceux qui doivent renoncer à des besoins essentiels faute de pouvoir les payer.
Nous proposons aussi d’affronter la précarité des statuts au travail. Nous le ferons dans la fonction publique (où le taux d’emploi précaire est supérieur à celui du secteur privé !) en titularisant les 850 000 précaires qui y travaillent déjà. Nous le ferons dans les entreprises privées en instaurant notamment des quotas maximums d’emplois précaires de 5% dans les grandes entreprises et 10% dans les petites, afin de lutter contre le détournement du Code du travail qui prévoit que le CDI soit la norme et tout autre contrat l’exception. Enfin, nous agirons pour nous le plein emploi, avec une politique économique favorable à l’emploi comme par la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle qui maintiendra le statut des salariés même après une rupture du contrat de travail.
Le programme L’Humain d’abord comble ici encore une grande lacune de la gauche au pouvoir, qui n’a pas su mener la bataille culturelle contre le système, considérant à tort qu’il suffisait d’améliorer la situation matérielle des travailleurs pour changer graduellement la société. Cette attitude découle aussi de la prise en compte centrale de l’urgence écologiste ou du combat féministe qui appellent l’un comme l’autre des changements profonds dans les mentalités collectives aujourd’hui dominantes.