Pour l’essentiel, les travaux du COR sont cependant précieux. Ses projections à l’horizon 2020 ou 2050 offrent en effet une perspective suffisamment longue pour situer certains enjeux, qui ne peuvent être saisis sans cela.
Le catastrophisme libéral
Le catastrophisme est une arme familière du libéralisme. La peur incite au repli sur soi, plus qu’à la réflexion et la solidarité. Ce qui vaut en général (cf. l’agitation autour de la dette publique ou bien encore la tendance à noircir la situation des jeunes en matière d’emploi comme si elle n’était pas suffisamment difficile), vaut pour les retraites. Les études montrent ainsi que les jeunes, très majoritairement, ne croient plus à la retraite publique pour assurer leurs vieux jours. Une belle victoire intellectuelle du libéralisme, qui concrètement risque de favoriser le but recherché : encourager ceux qui en ont les moyens à se tourner vers des compléments en capitalisation.
En prenant appui sur les travaux du COR, on peut au contraire soutenir qu’un Ministre des finances peut parfaitement se présenter sur le perron de Bercy et dire : « Citoyenne, citoyen, nous pouvons garantir une hausse d’au minimum 50% du pouvoir d’achat des actifs et des retraités d’ici 2050 ». Et cela sans même toucher à la part, qu’il faut pourtant réduire, des profits dans la valeur ajoutée. L’explication est simple (2) : si on suppose, ce que fait le COR, que les gains de productivité des 40 prochaines années seront plus piteux encore (entre 1,5 % et 1,8% par an contre 2,3 % entre 1970 et 2007 (3)) que ceux des trente « dernières piteuses », le PIB doublera néanmoins d’ici 2050. Et c’est ce gâteau plus grand qui permet d’offrir des perspectives de progression aux actifs comme aux retraités, en dépit de la hausse programmée du rapport de dépendance entre retraités et cotisants (4).
La retraite ne fait pas bon ménage avec la décroissance
Faut-il s’opposer aux gains de productivité et à la croissance au nom de l’écologie ? Le débat sur les retraites, ce n’est pas le moindre de ses avantages, permet de préciser certains débats. On ne peut augmenter les bas et moyens salaires, retraites et autres prestations sociales sans aucune croissance. La taxation nécessaire des revenus financiers n’y suffirait pas. A sa façon laborieuse, le livre d’Attac et de la Copernic le montre (5). Selon l’un des scénarios présentés, avec zéro croissance, il faudrait une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée de 13 points (ce qui mord sur l’investissement), pour n’obtenir qu’un strict maintien du pouvoir d’achat des salaires et des pensions jusqu’en 2050. Le COR table sur le fait qu’en dépit des réformes libérales déjà passées, les pensions augmenteront de 43 % à 55 % d’ici 2050. L’absence de croissance conduit donc à bien pire.
Soulignons, au passage, un point important : il ne faut pas confondre niveau relatif et niveau absolu des pensions. Selon le COR, le ratio entre la pension moyenne nette et le revenu d’activité moyen net va baisser, même en supposant, ce qui est loin d’être acquis, que les « besoins de financement » seront totalement couverts par une hausse des cotisations (6). Dit autrement : les réformes libérales d’ores et déjà accumulées depuis la fin des années 1980 se traduisent bien par une baisse programmée du niveau relatif des pensions. Et comme le seuil de pauvreté est calculé de façon relative (50 % ou 60 % du revenu médian), c’est bien un retour du fléau de la pauvreté chez les retraités qui est programmé. Mais il n’y a pas besoin de noircir ce tableau déjà suffisamment sombre et partant d’alimenter la « peur de l’avenir » si chère aux libéraux. Le COR ne prévoit ainsi en aucun cas une baisse du niveau absolu (le pouvoir d’achat) des pensions, contrairement à ce qui est trop souvent indiqué ici et là. Dans le scénario de base du COR, le niveau absolu des pensions moyennes nettes augmentera, comme il a été indiqué de +43 % à +55 % (7). Comment expliquer cela ? Pour l’essentiel par « l’effet noria » : la croissance augmentant jusqu’en 2050, les salaires eux-mêmes augmenteront à peu près au même rythme selon le COR (qui ne prévoit pas – ce qui est heureux – une nouvelle baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée). Et les retraites futures étant calculées sur ces salaires futurs, elles seront en conséquence elles mêmes plus élevées et cela malgré l’application des règles restrictives déjà votées (indexation sur les prix « des salaires portées au compte » et des pensions, règle des 25 au lieu des 10 meilleures années, allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein et sans décote, etc.).
Les gains de productivité ne signifient pas nécessairement stress accru au travail : ils résultent avant tout des innovations technologiques. L’écologie exige la décroissance de certaines productions. Mais la décroissance comme projet global est une impasse. La bonne question à poser est celle du contenu de la croissance. Un enseignant, une infirmière, un artiste (dès lors qu’il est payé) contribuent au PIB. Et l’écologie exige ellemême avant tout (8) des investissements et des créations massives d’emplois : rénovation thermique des bâtiments, énergies renouvelables, agriculture biologique, transports collectifs…
La question des retraites montre que l’enjeu politique en matière économique est double et non unique. Le « partage du gâteau » bien sûr, mais aussi sa taille (9). Laisser cette dernière question aux libéraux – et partant le débat sur le contenu à donner aux politiques économiques (budgétaire, monétaire, commerciale, etc.) – serait un redoutable piège.
1 Le procédé est d’autant plus contestable que le rapport du COR de 2007 contenait des évaluations avec un taux de cotisations implicite équilibrant les comptes en 2003.
2 Voir Ramaux, « Retraites : les jours heureux à portée de main », Le Monde.fr, 18 mai 2010, cf. http://ces.univparis1.fr/membre/ramauxPdf/10RetraiteJoursHeureux.pdf
3 Le COR retient l’hypothèse selon laquelle la durée effective du travail ne baissera pas d’ici à 2050, de sorte que la productivité par tête évoluera exactement au même rythme que la productivité horaire. Cette hypothèse est fort libérale, mais, pour le coup, elle réduit les « besoins de financement » anticipés, et dessert en quelque sorte les libéraux, qui ne peuvent pas ici avoir le beurre (inscrire dans les têtes que la RTT c’est fini) et l’argent du beurre (exhiber les chiffres les plus alarmistes possibles).
4 Le ratio cotisants / retraités qui est aujourd’hui de 160 % (soit 6,2 retraités pour dix cotisants) passera selon les prévisions du COR à 115 % ou 118 % (avec respectivement un taux de chômage à 4,5 % ou 7 %) en 2050 (soit entre 8,5 et 8,7 retraités pour dix cotisants). On note que le taux de chômage influe assez peu sur ce ratio. Ditautrement, même avec le retour au plein emploi, il y aura demain des « besoins de financement » supplémentaires à trouver pour la retraite.
5 Cf. Attac – Fondation Copernic (2010), Retraites, l’heure de vérité, Syllepse. Ce livre, à bien des égards très utile, ne permet cependant pas de surmonter la difficulté sur laquelle bute le mouvement contre les projets gouvernementaux : le manque cruel d’un référentiel commun en termes de chiffres à mobiliser (sur les alternatives mais aussi, ce qui se comprend moins, sur l’état des lieux). Le livre souffre en effet d’un manque de cohérence entre les chapitres. Certains prennent appui sur les dernières données du COR, d’autres sur des données antérieures. Le dernier chapitre présente quatre scénarios alternatifs avec ou sans croissance, sans oser trancher entre eux, alors que les chiffres présentés parlent d’eux-mêmes. Ce chapitre a cependant le mérite de présenter une « boîte à outil » méthodologique. Bien plus gênant est, en ce sens, le chapitre qui le précède qui ne présente qu’un seul et unique scénario, sans ne rien dire sur la méthode utilisée. Selon ce scénario, plus de la moitié des gains de productivité futurs seraient consacrés à la baisse de la durée du travail (passage à 28 heures hebdomadaires et congés en sus). Seuls 10 % seraient consacrés aux besoins de financement des retraites. Le COR prévoit, pour sa part, qu’au minimum 13 % de ces gains (soit la part actuelle des retraites dans le PIB) y seront consacrés (ce qu’il nomme « besoin de financement » est ce qui s’ajoute à ces 13 %). Dans tous les cas, on aurait aimé avoir des précisions sur les effets (bien piteux de toute évidence) de ce scénario en termes de pouvoir d’achat futur des salaires et des retraites. Au sujet des retraites, voir aussi le livre de P.-Y. Chanu et J.-C. Le Duigou (2010), Le petit livre des retraites (à l’usage de ceux qui veulent les défendre), Les éditions de l’Atelier. Coécrit par deux responsables de la CGT, ce livre présente le scénario de financement suivant. Les besoins pour les retraites, y compris ceux nécessaires pour revenir sur les réformes libérales passées, sont évalués à 15 points de PIB en 2020 et 17 points en 2050. Par rapport aux 13 points actuels, le surcroît, soit 50 milliards d’euros en 2020 (et 160 en 2050), est assuré de la façon suivante : 25 milliards en 2020 par l’effet sur les recettes d’un retour au plein emploi (80 milliards en 2050) ; 5 milliards par la suppression des exonérations de cotisation et une modification de leur assiette (10 en 2050) ; 5 milliards par la suppression des exemptions de cotisations dont bénéficient les compléments de rémunération comme l’intéressement et la participation (10 en 2050) ; 10 milliards par une taxe sur les produits financiers des entreprises (20 en 2050) ; 5 milliards par le redéploiement des cotisations chômage et la hausse des cotisations retraite (40 en 2050).
6 Dans ce cas, la baisse du ratio (pension moyenne nette / revenu d’activité moyen net) sera de – 15 % à – 29 % en 2050 (par rapport à 2008), la baisse étant plus importante (de – 20 % à – 29 %) en cas de rendements décroissants des régimes complémentaires (AGIRC et ARRCO), qu’en cas de rendements constants (de – 15 % à – 23 %).
7 De +43% à +47% sous l’hypothèse de rendements décroissants des régimes complémentaires, et de +49% à +55% sous l’hypothèse de rendements constants.
8 C’est tout le piège du débat sur la taxe carbone. Si celle-ci peut être utile, elle devient néanmoins nocive dès lors qu’elle est posée, austérité budgétaire oblige, en lieu et place de l’essentiel, les investissements publics massifs à réaliser pour l’écologie. Au lieu de l’inscrire comme la nouvelle frontière de progrès, c’est une vision purement punitive et insécurisante de l’écologie qui est ce faisant véhiculée.
9 La question est même triple si on ajoute celle de son contenu en termes de qualités sociale et environnementale.