Non à la peine
de mort rétablie par l’UE
Le Traité de Lisbonne rend
possible la peine de mort
et le fait de
tuer des personnes
Interview de Karl Albrecht Schachtschneider,
professeur de droit
Olivier Janich, du
magazine Focus-Money: D’après ce que vous affirmez dans la plainte contre le
Traité de Lisbonne que vous avez adressée à la Cour constitutionnelle allemande,
ledit Traité permet la peine de mort et le fait de tuer des personnes. Cela
paraît énorme. Sur quoi fondez-vous votre argumentation?
Karl Albrecht
Schachtschneider: La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans
les «explications» des droits fondamentaux, rend explicitement possible –
contrairement à l’abolition de la peine de mort en Allemagne (art. 102 de la Loi
fondamentale), en Autriche et ailleurs, fondée sur le principe de dignité
humaine – le rétablissement de la peine de mort «pour des actes commis en temps
de guerre ou de danger imminent de guerre» et également le fait de tuer des
personnes «pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une
insurrection».
Mais la Charte
n’interdit-elle pas la peine de mort?
Ce qui est déterminant
à cet égard, ce n’est pas l’article 2-2 de la Charte, qui interdit la peine de
mort («Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.»), mais
l’«explication» reprise du commentaire de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Selon l’article 6
alinéas 1 et 3 du Traité de Lisbonne, «les droits, les libertés et les
principes» de la Charte sont à interpréter en fonction des dispositions
générales du Titre VII de la Charte qui en définit l’interprétation et
l’application ainsi qu’en tenant dûment compte des «explications» mentionnées
dans la Charte et où sont indiquées les sources de ces dispositions.
Pourquoi tant de
complication?
C’est pour dissimuler
les choses. On ne présente aux députés que le texte du Traité, qui est de toute
façon difficile à comprendre et beaucoup trop long.
Mais est-il maintenant
tout à fait clair qu’il sera possible de tuer des personnes quand le Traité sera
en vigueur?
Oui. La Charte des
droits fondamentaux a été adoptée en 2000 à Nice. Mais comme tous les pays
n’étaient pas d’accord, elle n’avait pas de caractère obligatoire au regard du
droit international. Lorsque le Traité entrera en vigueur, la Charte aura ce
caractère obligatoire.
Mais le passage en
question ne figure que dans les explications …
Mais selon l’article
53 alinéas 3 et 5 de la Charte, elles sont contraignantes. Elles figurent au
Journal officiel de l’Union européenne. Il n’y a pas de marge d’interprétation.
En reconnaissant le
Traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle allemande n’a-t-elle pas réfuté
votre interprétation?
Absolument pas. Elle
ne s’est pas prononcée à ce sujet.
Est-ce habituel de sa
part?
C’est même la règle.
Quand elle ne veut pas étudier une question, elle ne se prononce pas.
Est-ce juridiquement
possible?
C’est plus que
discutable, mais habituel.
Selon l’explication, la
peine de mort peut être introduite en temps de guerre ou de danger imminent de
guerre. Il s’agit là d’un cas très théorique.
Vous croyez? Ne
sommes-nous pas en guerre en Afghanistan? Qu’est-ce qu’un danger de guerre?
Qu’en était-il de la guerre en Yougoslavie?
Mais il n’est pas normal,
en temps de guerre, d’exécuter des déserteurs, par exemple.
Si, dans les
dictatures. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que l’on puisse tuer
illégalement et sans ordonnance d’un juge lors d’un émeute ou d’une
insurrection.
Qui définit cela?
C’est là le problème.
A mon avis, les «manifestations du lundi» à Leipzig, en 1989, pourraient être
qualifiées d’insurrection, comme pratiquement toute manifestation non autorisée.
Prenons les émeutes en Grèce ou les manifestations récentes de Cologne et de
Hambourg. Il suffit que quelques «autonomistes» lancent des pierres.
Il y a des politiques et
des juristes qui affirment que les droits fondamentaux d’un pays ne peuvent
qu’être améliorés par le Traité de
Lisbonne, qu’ils ne
peuvent pas être dégradés.
La Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne n’affirme ni la priorité des droits
fondamentaux nationaux ni un principe d’avantage et elle ne formule aucune
clause restrictive. Ceux qui prétendent cela montrent qu’ils ne connaissent pas
le droit communautaire.
Comment cela?
Ils se fondent sur
l’article 53 de la Charte, mais le texte ne dit pas cela. Il stipule qu’«aucune
disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou
portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus,
dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit
international et les conventions internationales auxquelles sont parties
l’Union, la Communauté ou tous les Etats membres, et notamment la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
ainsi que par les constitutions des Etats membres». Le passage «dans leur champ
d’application respectif» est essentiel. En effet, si c’est le droit
communautaire qui s’applique, les droits fondamentaux de l’Union européenne sont
déterminants (article 51-1) et si c’est le droit national, les droits
fondamentaux nationaux sont déterminants. Les deux textes ne s’appliquent jamais
simultanément.
Mais la Cour de justice
européenne pourrait établir que dans ce cas, le droit national est prioritaire.
Mais c’est justement
ce qu’elle n’a jamais fait. Elle s’estime toujours compétente. En outre,
l’interdiction de la peine de mort n’est pas un droit fondamental, si bien que
l’argument selon lequel les droits fondamentaux ne peuvent pas être dégradés
n’est pas valable.
Un autre argument avancé
par les milieux de la Commission européenne consiste à dire que ce passage
devrait permettre d’accueillir la Turquie.
C’est grotesque. En
tant que Communauté, nous devrions dire que nous n’accueillerons aucun pays dans
lequel il est permis de tuer des personnes, et non l’inverse.
Les politiques sont-ils
conscients de ce qu’ils décident là?
Peut-être pas tous,
mais au moins le groupe parlementaire CDU/CSU. J’ai fait distribuer à cet effet
un résumé de 5 pages seulement de ma plainte afin que les parlementaires n’aient
pas trop à lire. Et le SPD devrait connaître le problème car l’un de leurs
parlementaires, Meyer, a essayé de s’opposer au Traité de Nice.
Pouvez-vous imaginer une
raison pour laquelle on prend ce genre de décision?
Les gouvernements
s’attendent manifestement à des insurrections. Le scepticisme à l’égard des
gouvernements et de l’appareil européen ne cesse d’augmenter. La crise
financière et économique accentue la pression sur la population.
Donc on a l’intention de
tirer sur les manifestants?
C’est ce qu’il semble.
Que peut-on faire
là-contre?
A mon avis, le Traité
de Lisbonne justifie la résistance, également parce qu’il sape la démocratie.
A quelle forme de
résistance pensez-vous?
Par exemple à des
manifestations et à toutes les formes d’opposition publique, à la voie suivie
par Gandhi. Manifestations qui vont être qualifiées d’insurrections. Cela évoque
les dictatures. Le terme de dictature est impropre mais très usité. Depuis la
République romaine, on la définit comme une législation de l’état d’urgence
d’une portée limitée dans le temps. Je parlerais plutôt de despotisme, lequel
peut dégénérer en tyrannie. D’ailleurs, si en octobre les Irlandais acceptent le
Traité de Lisbonne, la peine de mort sera rétablie.
•
Source: Focus-Money 35/09
du 19/8/09
Article 2 de la Charte des droits fondamentaux – Droit à la vie
1. Toute
personne a droit à la vie.
2. Nul
ne peut être condamné à la peine de morte, ni exécuté.
Source:
Charte des droits fondamentaux dans la version du 14/12/07, Journal officiel de
l’Union européenne C 303/1
Explication ad article 2 – Droit à la vie
Le
paragraphe 1 de cet article est fondé sur l’article 2, paragraphe 1, première
phrase, de la CEDH, dont le texte est le suivant:
«1. Le
droit de toute personne à la vie est protégé par la loi […]».
La
deuxième phrase de cette disposition, qui concerne la peine de mort, a été
rendue caduque par l’entrée en vigueur du protocole no 6 annexé à la CEDH, dont
l’article 1er est libellé comme suit:
«La
peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni
exécuté».
C’est
sur la base de cette disposition qu’est rédigé le paragraphe 2 de l’article 2 de
la Charte.
Les
dispositions de l’article 2 de la Charte correspondent à celles des articles
précités de la CEDH et du protocole additionnel. Elles en ont le même sens et la
même portée, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte. Ainsi, les
définitions «négatives» qui figurent dans la CEDH doivent être considérées comme
figurant également dans la Charte:
L’article 2, paragraphe 2, de la CEDH:
«La mort
n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où
elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire:
a) pour
assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;
b) pour
effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne
régulièrement détenue;
c) pour
réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.»
L’article 2 du protocole no 6 annexé à la CEDH:
«Un Etat
peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps
de guerre ou de danger imminent de guerre; une telle peine ne sera appliquée que
dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions
[…]».
Source:
Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux dans la version du
14/12/07, Journal officiel de l’Union européenne C 303/17
Article 52 de la Charte des droits fondamentaux
Portée
et interprétation des droits et des principes
[…]
(3) Dans
la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits
garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l‘Homme et des
libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que
leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que
le droit de l‘Union accorde une protection plus étendue. […]
(7) Les
explications élaborées en vue de guider l‘interprétation de la présente Charte
sont dûment prises en considération par les juridictions de l‘Union et des Etats
membres.