Après trois semaines de mobilisation des salariés et de la jeunesse, le gouvernement a annoncé lundi 14 mars la suppression de quelques fioritures au texte de l’avant-projet de loi Travail. Un écran de fumée pour faire oublier l’essentiel.
Le Premier ministre Manuel Valls a annoncé lundi 14 mars la suppression de quelques fioritures au texte de l’avant-projet de loi Travail – CHAMUSSY/SIPA
La fioriture est un ornement accessoire et souvent excessif. Après trois semaines de mobilisation des salariés et de la jeunesse, le gouvernement a annoncé lundi 14 mars la suppression de quelques fioritures au texte de l’avant-projet de loi Travail. Des aspects certes extrêmes comme la durée du travail des apprenti-e-s mineur-e-s, le fractionnement du repos quotidien, ou l’instauration libre du forfait jour dans les entreprises de moins de 50 salariés, sont supprimés. Mais cela ne remet aucunement en cause le processus de déconstruction du droit du travail que veut imposer cette contre-réforme. Le gouvernement recule légèrement face à la mobilisation naissante, mais ne change rien à la philosophie générale de son texte. Les différentes mesures supprimées pour contenter certains syndicats se révèlent être des écrans de fumée pour faire oublier l’essentiel.
L’enjeu principal de ce texte foisonnant de plus de 100 pages, qui complexifie considérablement le droit actuel, contrairement à son soi-disant objectif de simplification, est d’adapter le droit du travail, les droits et libertés des salarié-e-s aux « nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise », comme l’écrit l’innovant article 1, en inversant les normes et en occultant le fait que les salarié-e-s sont sous la dépendance juridique de l’employeur.
Jusqu’à présent, le droit du travail était, sauf exception, un droit plancher, un droit en-dessous duquel il était interdit de faire travailler des salarié-e-s, et au-dessus duquel on pouvait éventuellement négocier des dispositions plus favorables. Le projet inverse la fonction du code du travail pour en faire un texte plafond, en-dessous duquel l’employeur pourra négocier baisses de salaire, directement ou par la diminution des majorations des heures supplémentaires et complémentaires, ou encore par augmentation du temps de travail sans augmentation des salaires, par aménagement du temps de travail selon ses besoins. Tout cela se fera par des accords dérogatoires, le nom pris par la déréglementation dans le langage des communicants patronaux et gouvernementaux.
Pour cela, la loi Travail donne le pouvoir de déréglementation aux accords d’entreprise, leur blocage par les syndicats majoritaires pouvant désormais être contourné par l’organisation de référendums d’entreprise. Ce dispositif existera « à titre expérimental » pour la durée du travail, ce qui ne change rien évidemment au fond. Ces référendums n’ont rien de démocratiques. L’entreprise n’est pas un lieu où règne la démocratie, la décision sur la base un Homme/une voix. L’entreprise est le lieu de la toute-puissance patronale. Ces référendums n’auront lieu que sur une question choisie par l’employeur signataire de l’accord avec des syndicats minoritaires, au moment choisi par lui en fonction de ses besoins, pour attaquer les droits des salarié-e-s. Alors il va leur dire, comme on l’a vu dans de multiples cas, il faut accepter sinon… c’est le licenciement. Comment peut-on oser parler de démocratie dans ces conditions? Il s’agit plutôt d’étendre à la négociation d’entreprise la méthode du consentement imposé, utilisée en permanence dans le management néolibéral. Le « dialogue social » est ainsi réduit à une légitimation du pouvoir patronal.
L’extension du forfait jour est également un enjeu majeur, puisque ce type de contrat contourne l’essentiel des textes sur la durée du travail. Dans ce projet de loi modifié, elle sera toujours possible par accord d’entreprise, mais plus à la seule liberté de l’employeur dans les entreprises de moins de 50 salarié-e-s. Il pourra passer par des accords types de branche ou par des salarié-e-s mandatés. Ce système de mandatement par une organisation syndicale alors que n’existe aucune organisation collective des salarié-e-s a largement été utilisé dans les accords 35 heures. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas permis une grande résistance aux exigences des employeurs. LE GOUVERNEMENT RECULE LÉGÈREMENT MAIS NE CHANGE RIEN À LA PHILOSOPHIE DE SON TEXTE
Quant au passage d’un barème obligatoire des indemnités de licenciement en cas de licenciement abusif à un barème indicatif, il ne change pas grand-chose à l’aspect scandaleux de cette partie de la loi, puisque les planchers restent supprimés. N’oublions pas que la précédente tentative de barémisation par Macron avait déjà été cassée par le conseil constitutionnel. L’idée reste qu’il faut « sécuriser » l’employeur qui licencie abusivement un-e salarié-e qui perd ainsi son emploi alors que rien ne le justifie.C’est une inversion totale des valeurs : celui /celle qu’il faut protéger, sécuriser, indemniser, c’est la victime, le/la salarié-e abusivement licencié-e, pas l’employeur responsable de cette mesure illégale. Cette soi-disant nécessité de sécuriser l’employeur sur les indemnités prud’homales est d’autant plus aberrante que ces procédures ne sont pas majoritaires dans les motifs de licenciement. Les fins de CDD représentent 75% des motifs de rupture, auxquels il faut ajouter les ruptures de CDI qui ne sont pas contestées aux prud’hommes : notamment les 25 000 ruptures conventionnelles mensuelles, et 95% des licenciements économiques.
Concernant les licenciements économiques, aucune modification notable n’a été annoncée alors que le projet de loi prévoit de largement les faciliter. D’abord, en autorisant le licenciement économique dans une entreprise qui n’a pas de difficultés économiques et en permettant à un groupe prospère de se débarrasser impunément des salarié-e-s français. Mais surtout, en élargissant la possibilité d’accords dits « de préservation et de maintien de l’emploi » y compris dans des entreprises qui ne traversent pas de difficultés économiques. Ces accords permettent d’imposer baisse de salaire, flexibilité et mobilité. Si les salarié-e-s refusent, ils sont licencié-e-s pour motif personnel, sans garantie de reclassement ni indemnités complémentaires.
Le texte affirme en effet que dans ce cas le licenciement n’est pas un licenciement pour motif économique et que la cause réelle et sérieuse s’impose : la victime du licenciement ne pourra pas la contester devant les prud’hommes. C’est particulièrement grave : dans cette situation, les garanties individuelles du contrat de travail disparaissent. L’accord d’entreprise dérogatoire devient supérieur au contrat de travail, au code du travail et aux accords de branche.
Le gouvernement persiste à modifier en profondeur la hiérarchie des normes, avec l’argument que le droit du licenciement économique est un frein à l’investissement, à l’emploi, au motif que les employeurs recourent beaucoup à la précarité parce qu’ils craignent de ne pouvoir licencier « librement ». On peut à l’inverse affirmer qu’ils y recourent trop, parce que la législation n’est pas assez restrictive. On constate que la libéralisation des contrats précaires et des procédures de licenciement n’a jamais produit aucune embauche. Et c’est logique : un employeur n’embauche pas parce qu’il pourra licencier facilement, mais parce qu’il a du travail à fournir aux salarié-es, tout simplement.
Ce qui se dessine avec cette modification en profondeur du code du travail dans les années qui viennent, initiée par ce projet de loi, c’est une remise en cause de l’ensemble des conditions de vie et de travail de millions de salarié-e-s. Le CDI tel que nous l’avons connu ces cinquante dernières années est sur la sellette. Que devient-il lorsque des accords d’entreprise dérogatoires peuvent changer le salaire, les horaires de travail, lorsque l’employeur peut licencier de plus en plus facilement, sans que les tribunaux puissent remettre en cause les décisions illégales ?
Les modifications présentées par le premier ministre lundi dernier ont pour fonction, en éliminant les aspérités les plus criantes du premier avant-projet, de faire valider cette remise en cause fondamentale de ce qu’est le code du travail aujourd’hui. Le néolibéralisme de ce gouvernement vise à modifier en profondeur l’ensemble des équilibres du compromis social qui s’est construit en France grâce à des décennies de lutte sociale. Les salarié-e-s et les jeunes font face à une nécessité absolue : poursuivre et amplifier la mobilisation, pour obtenir le retrait complet de ce projet funeste.
Tribune parue dans Marianne 17-04/2016